Le placement de personnel temporaire au Québec : une brève histoire législative
Au Québec, le premier bureau privé de placement de travailleurs a ouvert ses portes en 1893 dans la région de Montréal. Plusieurs autres ouvriront subséquemment. Ces bureaux promettaient aux chercheurs d’emploi, souvent de pauvres manœuvres, de leur trouver un travail dans une entreprise en échange de certains frais payables à l’avance.
À cette époque, les bureaux de placement avaient toutefois une très mauvaise réputation. Des cas d’irrégularité étaient fréquemment rapportés aux autorités. C’est pourquoi, dès 1910, le Québec adoptait la Loi concernant les bureaux de placement pour les ouvriers. Le mot « ouvrier » désignait alors toute personne se livrant à un travail manuel, incluant les domestiques et les servantes. Cette loi répondait à deux objectifs : premièrement, protéger les ouvriers œuvrant au sein de bureaux de placement privés en permettant aux différentes municipalités de réguler ces derniers; deuxièmement, autoriser le gouvernement provincial à ouvrir des bureaux de placement publics qui allaient concurrencer ceux du privé. La nouvelle législation obligeait les bureaux privés à obtenir un permis émis par le ministre des Travaux publics et du Travail. Ils devaient également produire un rapport de leurs activités sur demande. Les premiers bureaux de placement publics ouvriront à Montréal et à Québec en 1911, de même qu’à Sherbrooke en 1912.
Sous l’influence d’un courant plus prohibitif à l’échelle internationale, cette loi fut l’objet, en 1919, d’une première modification. Elle permettait aux autorités d’ordonner, en tout temps, « la fermeture de tous les bureaux de placement, tenus ou contrôlés par des particuliers, compagnies ou autres personnes ». Bien que le Québec n'ait jamais agi en ce sens, la régulation plus sévère des bureaux de placement privés a fait en sorte d’en réduire le nombre, mais surtout elle a permis de punir les fautifs.
En 1932, le gouvernement québécois procédait à un second amendement à la loi de 1910. Il visait à interdire les bureaux de placement privés sur son territoire. On y remplaçait notamment le terme « ouvrier » par « employé », élargissant ainsi la portée de la loi à toute personne travaillant en vertu d'un contrat de louage d'ouvrage ou d'apprentissage. Toutefois, les sociétés religieuses, ouvrières et charitables, de même que les employeurs possédant leurs propres bureaux de placement étaient exclus, ce qui permettait facilement aux bureaux se proclamant « mandataires des employeurs » de contourner la loi. La nouvelle législation, loin de freiner l’activité des bureaux privés, a donc favorisé leur recrudescence. Soulignons qu’à cette époque, l'industrie du placement temporaire se spécialisait dans le remplacement de travailleurs manuels et de secrétaires pour des congés de maladie, de maternité ou pour des vacances. Les contrats étaient souvent de courte durée.
Cinquante ans plus tard, en 1982, l'Assemblée nationale abrogeait la législation de 1932. L'absence de pouvoirs d'enquête et de contrôle ainsi que les faibles amendes prévues ne permettaient pas d’en assurer adéquatement le respect. Le gouvernement de l’époque considérait en outre que la Loi sur la protection du consommateur et la Loi sur les normes du travail encadraient suffisamment les activités des agences de placement.
Fort de cette déréglementation, l’industrie du placement privé connût une croissance importante au cours des trois décennies qui suivirent, particulièrement durant les années 2000. Malheureusement, cette absence de balises légales a créé les conditions propices à l’apparition de nouveaux problèmes liés à l’industrie du placement privé, celle-ci se voyant qualifier de véritable jungle par plusieurs observateurs.
Aujourd’hui, plus de cent ans après l’adoption de la première loi québécoise sur le placement de travailleurs, les pressions sur le législateur se font de nouveau sentir afin d’encadrer ce secteur d’activité; comme quoi l’histoire est un perpétuel recommencement!